Partage ton errance

Le rire

Le rire…

 

 

Il l'avait croisée par hasard dans le parc et ne l'avait pas remarquée, pas plus qu'il ne remarquait la douce brume qui se pose à la cime des arbres, comme une auréole  légère, qui les caresse un instant et les pare d'un mystère qu'ils n'auraient  jamais eus, si elle ne les avait pas effleurés.

Il marchait comme  l'on marche, quand on soixante neuf ans,  un  corps d'homme qui ne connaît plus vraiment  les exigences de la sève qui monte au printemps, il marchait le pas encore ferme,  une lassitude parfois au creux des hanches …Il marchait comme on marche quand le temps commence sérieusement  à s'amoindrir et qu'il ne faut pas le laisser baguenauder vers des rêves impossibles…Il avait depuis longtemps oublié le frémissement léger de ces premières fois chargées de non dits et de doutes, chargées d'émois et d'attente.

 

Pourquoi s'était il arrêté au bord de la fontaine, celle qui ne coulait plus, pas même, d'un filet d'eau légère qui se serait échappée, brune et rouillée, d'un tuyau percé ? Par habitude, par lassitude ? Parce que la pente devenait un peu trop dure à gravir ?

Il n'aurait su le dire.

 

Il n'aurait  pas du.

 C'était si simple de devenir vieux au fond, si rassurant. Dans quelques mois il atteindrait cet âge fatidique qu'il pensait ne jamais avoir, quand il était jeune et beau, quand Anne l'aimait…Il ne voulait pas y penser mais son corps y pensait pour lui et son souffle trop court lui rappelait qu'il devait s'arrêter un instant, juste un instant pour respirer…

Il s'était arrêté et ne l'avait pas remarquée.

 

Remarque –t-on le vent d'été quand il caresse vos paupières, quand il effleure la commissure de vos lèvres, d'une aile si légère qu'on pense qu'un papillon vous a frôlé ?

Mais il a entendu comme une cascade qui dévalait du rocher artificiel qu'un jardinier maladroit  avait imaginée, juste au dessus de ce bassin sans rêves… Il a relevé la tête et ce n'était point une cascade, ce n'était point le chant d'un merle de passage, juste le rire d'une femme.

 

Une femme vêtue de blanc.

 

Ni plus belle ni plus laide qu'un autre …juste une femme qui riait.

Il y avait si longtemps qu'il n'avait entendu un rire scintillant comme une étoile de mai, un rire qui ne fût point d'ironie ou de sarcasme, juste  un rire de joie qui s'envolait au dessus des blonds tilleuls, chevauchait les haies de lauriers si sages en leur désolante régularité, un rire qui défroissait l'ordonnance des roses du jardin, un rire d'enfant dans un corps de femme !

Mais pourquoi donc riait  elle ?

 

Il la regarda et elle le vit alors.

 

Elle s'empourpra comme une adolescente, surprise dans son intimité et, d'un  geste étrange rempli de pudeur, dissimula un objet en sa poche.

 

Une femme qui riait  au milieu d'un parterre…d'un jardin solitaire. N'était ce pas à lui que ce rire était dédié, même si elle ne le savait pas ? A lui le promeneur qui venait de croiser ses pas ?

En l'espace d'un instant, il s'était approprié cette femme  dont il ne savait rien si ce n'est la lumineuse clarté de son rire. Et pour cela il en perdait la raison !

 

Il aurait du fuir comme elle le fuyait déjà, elle aussi…ne pas se retourner, ne pas sourire complice…complice de ce rire dérangeant qu'elle avait laissé éclater en se croyant seule…Complice de sa joie.

 

Il a souri et elle l'a trouvé gentil.

 

Gentil de la comprendre sans comprendre.

 Elle était si heureuse que le premier étranger qui passait, là au détour du chemin ne pouvait que lui paraître aimable, surtout s'il avait, comme cet homme vieillissant, tant de gentillesse  en son regard…Elle avait soudain tellement besoin de partager sa joie qu'elle parla :

 

-      C'est trop bête dit elle mais j'ai retrouvé dans la doublure de mon imper  l'adresse de mon premier amour, sur un vieux carnet que je croyais avoir jeté !

 

Et d'un geste un peu gauche, comme si elle devait prouver la raison de sa joie, comme si elle ne pouvait plus la taire, elle retira de sa poche  le petit carnet bleu usagé qu'elle venait d'y enfouir et rit de nouveau.

 

Il est parti très vite, trop vite au-delà des grands marronniers pour  se fondre dans leur ombre…

 

@clorinda le 3 octobre 2010

 



04/10/2010
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