Partage ton errance

Marie

 

Elle s'appelait Marie, on se nommait souvent Marie quand on était pauvre, vos parents n'avaient pas le temps de chercher un prénom et puis on ne l'attendait pas vraiment, elle venait à la place du fils tant espéré,  celui qui saurait pousser le soc de la charrue dans la terre grise et drue de ces hautes terres.

 

Elle a grandi comme grandit la blonde épervière, seule au milieu des vents qui descendent de la montagne et si elle irradiait d'une douce lumière c'est peut- être parce qu'elle avait le don de savoir rêver.

Elle a appris à lire comme ça, au détour des foins, quand on ne lui demandait pas d'aider à la vaisselle, de servir les hommes à table, de surveiller les précieux petits frères qui avaient fini par naître.

 

Trois  filles et deux  garçons dont elle, Marie, la troisième,  celle qui s'était trompée de sexe, celle dont on ne voulait pas.

 

Elle a appris à lire comme on apprend à respirer : pour vivre.

Et elle vivait de ses lectures, Marie.

 

On a marié ses deux aînées très vite avec des garçons du coin, on ne leur pas demandé leur avis mais elles n'avaient pas l'habitude d'en avoir, c'était comme ça… Il fallait faire vite, elles étaient belles et fraîches et n'avaient que leur jeunesse  pour richesse, pas question de la laisser se faner.

 

Et Marie est restée plus seule encore au milieu de la horde de garçons qui étaient nés sur le tard.

Quatre garçons, quatre mâles à présent dont les parents étaient très fiers, le plus grand conduisait déjà le cheval à l'abreuvoir, le cadet savait manier la faux…

Les deux petits s'accrochaient aux jupes de Marie et elle leur racontait des histoires, celles de ses livres ou celles qu'elle inventait, en se cachant,  car les histoires ça ne sert à rien, c'est du temps perdu quand on est pauvre..

 

Et puis elle eut douze ans.

Pourquoi a-t-on un jour douze ans ? Pourquoi les rêves deviennent ils si fort qu'ils se mettent à tourner dans votre tête et à vous donner envie de passer au-delà de la montagne, dans l'autre vallée ?

« Tu vas quitter l'école,  a dit son père, tu seras placée, on n'a pas les moyens de te garder à la ferme, en attendant que tu te maries »

Est-ce parce que la guerre grondait à l'horizon qu'elle a osé  ou est -ce parce qu'elle était différente des autres ?

La pente serait rude, elle le savait, mais au bord du fossé, il pousse toujours des coquelicots.

 

Elle a dit " non "  la petite fille.

Elle a gravi la côte toute seule, la côte de l'avenir, celle qui l'emmenait chez son amie, la seule qui l'aiderait, l'institutrice du village.

On la respectait l'institutrice, dans ce début de siècle, et sa parole était d'or.

Quand elle est venue, chapeautée,  à la ferme, on s'est tu.

«  Marie a eu son certificat, envoyez la en ville à l'école normale, elle aura une bourse, vous n'aurez pas à payer »  

 

Tu y serais peut être allée, Marie, malgré la méfiance de tes parents,  ils auraient peut être cédé et  tu aurais été toi aussi institutrice, si la guerre n'avait pas éclaté.

 

Elle est restée à la ferme, Marie et vous l'avez surement rencontrée, vêtue de sombre, avec un enfant dans ses bras, vêtue de tristesse mais c'est elle qui s'est penchée sur les devoirs de ses filles  et les a incitées à apprendre…

 

Oui vous l'avez surement  vue au détour de vos albums jaunis.

 

@clorinda



20/09/2012
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