Partage ton errance

La chose

La chose .

 

 

Parvenu en lisière de la forêt, il arrêta sa voiture près de la fontaine Sainte Marie et partit à la recherche de la Chose.

 

C'est là que Marc  l'avait aperçue la première fois…Il revenait chargé, son panier lourd de ces cèpes au pied généreux,  à la senteur musquée, il revenait fier de sa cueillette et avait hâte de rentrer… Emma serait heureuse, elle ne le dirait pas car elle ne le disait  jamais mais ses yeux se rempliraient de ces étincelles qu'il aimait tant allumer….Il ne pensait qu'à elle quand il a cru sentir une présence…Oh juste une impression, fugitive, celle qui vous parcourt parfois,  quand la nuit se fait déjà passagère…

 

Il s'est arrêté un instant et dans le taillis a cru percevoir une forme…Un chevreuil peut être ? Un solitaire  quittant sa tanière ? Non la forme n'avait point d'  apparence connue, elle n'avait même pas de forme !!!

 

« Une forme sans forme » ?  Il se mit à rire, d'un rire sans joie !!! «  Je vieillis » pensa –t il et une  douleur diffuse  le traversa : Emma était si jeune encore, si désirable…

 

Il poursuivit sa route, hâtant un peu le pas, malgré lui… La nuit étirait lentement ses premières ombres, encore embuée d'un restant de lumière, juste un voile léger qui vêtait les arbres de brouillard…Et de nouveau il la sentit, non plus dans le taillis, mais derrière lui, qui  avançait lentement, comme si elle ne voulait pas le rattraper, pas encore…

 

Marc n'était pas peureux, il ne craignait pas cette forêt   où chaque arbre était son ami… Alors d'où lui venait cette angoisse incontrôlée, qui le faisait courir, gauche et lourd, lui qui ne courait plus depuis déjà longtemps ?

 

Quand il est arrivé à la fontaine Sainte Marie, il s'est retourné, d'un coup et là, dans la nuit plus opaque, il a vu la chose arrêtée, ombre immense aux contours indéfinis…. La chose sans nom qui le regardait de ses yeux sans prunelle…

 

Emma n'a pas compris quand elle l'a vu revenir si pâle, si peu enjoué, malgré sa cueillette généreuse….Il devenait  étrange depuis un moment, et cette étrangeté l'agaçait, elle avait besoin qu'on l'aimât avec fièvre, avec légèreté aussi,   qu'on ne fit point  rentrer, dans leur couche, tous les soucis du monde ! Emma voulait un homme  de chair et muscle,  pas un homme de rêve et d'imprévisible humeur.

 

Il n'a pas osé lui dire…Peut on dire l'inexplicable ?

Il n'a pas su non plus la prendre dans ses bras trop tremblants, il s'est senti si vieux de nouveau, impuissant à partager…

 

Le lendemain il a tenté d'oublier…mais peut on oublier les fantômes qui montent de la nuit et vous appellent insolents et cruels à les suivre ? Non, il était trop démuni face à eux,  trop  désireux surtout d'en découvrir le sens..

 

Alors il est reparti jusqu'à la lisière de  la forêt, et ce soir là et le lendemain soir et tous les soirs qui ont suivi… Il est reparti, son feutre sur les yeux, hagard et tremblant …Et son chemin le menait toujours à la fontaine mais jamais au-delà...Il ne pouvait franchir une ligne invisible,  le domaine de la Chose….alors il rentrait encore plus malheureux…Il ne vivait plus comme les autres et les autres ont eu peur : « Marc est devenu fou, il faut qu'on fasse quelque chose » a dit son ami Jean …

 

Emma, elle, ne disait rien, ses yeux parlaient pour elle …ses yeux se posaient sur les hommes aux muscles déliés, au puissant menton volontaire,  à la caresse ensorcelante du regard, prémices des joies à venir…Emma ne s'était jamais sentie si jeune…

 

Mais  la Chose qu'il évitait est venue à eux … Il l'a senti un soir qu'elle  n'était plus à la fontaine Sainte Marie,  mais là tout près d'eux , présence invisible et maléfique,  entre eux deux . Son souffle s'insinuait dans leur chambre, frôlait les murs comme une gigantesque chauve souris et l'empêchait de dormir, l'empêchait de serrer le corps tiède de la femme qui ne le regardait plus… Oui il fallait  la chasser ou disparaître..

 

Alors il l'a dit. Non pas à Emma mais à Jean.

 

Jean n'a pas ri .

Il a compris tout de suite ce que la Chose voulait  dire, car lui aussi l'avait rencontrée, un soir,  quand les ombres s'allongent et que les ans deviennent  trop lourds…Mais Jean avait su défier  la Chose et elle avait disparu…

 

Il a donc  emmené Marc là au bord de la fontaine et lui a dit d'y rester, à l'affût et de guetter et même  de tirer s'il la voyait … Et il l'a laissé.

 

Seul.

 

Seul face à son effroi, face à la Mort qui se levait déjà dans ses membres, face à tout ce qu'il refusait ? Face à son amour qui sombrait…

 

Toute une nuit il a lutté…

 

Au petit jour il est revenu, il marchait du pas sûr de celui qui sait, du pas ferme  de celui qui refuse l'inéluctable fuite du Temps, il est revenu et, je vous le dis, sa taille s'était déliée, ses muscles s'étaient affermis, sa voix avait pris de tendres inflexions…

 

Il a  saisi  Emma dans ses bras….

 

@clorinda le 3 octobre 2010

 



03/10/2010
2 Poster un commentaire

A découvrir aussi


Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 11 autres membres